Política y Derechos Humanos
Politique et droits de la personne
Politics and Human Rights
Tlahui-Politic No. 1, I/1996 


INCERTITUDES DANS LE DOSSIER COLOSIO 

Mario Rojas Alba

Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.
DÉCLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME

Le sous-procureur Montes, élément-clé du gouvernement du Mexique pour truquer l'enquête policière

Mario Rojas. Montréal, Québec, mai 1994. Incertitudes dans le dossier Colosio (version augmentée et mis à jour en janvier 1996 disponible en espagnol). L'assassinat de Luis Donaldo Colosio, candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) à la présidence du Mexique, démontre très clairement le niveau de violence politique au cours des processus électoraux mexicains. Les doutes, les contradictions et les lacunes de l'enquête sur l'assassinat reflètent le manque d'honnêteté et les tares existant au sein de l'administration de la justice, ainsi que la subordination quasi-absolue du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif fédéral, c'est-à-dire au président Salinas lui-même. C'est l'une des difformités du système républicain qui caractérise le régime présidentiel mexicain.

 Les antécédents du sous-procureur: un «hygiéniste juridique» du système

 La journée était turbulente, comme toutes les autres au cours de la période du Collège électoral de 1988, Désespérés face à l'impossibilité d'empêcher la fraude électorale, les députés fédéraux du Front démocratique national avaient décidé d'envahir la tribune afin d'interrompre la session une fois de plus. Pâles et tendus, épuisés par les sessions prolongées, les membres du Front occupaient maintenant l'espace de la tribune des débats.

 Pendant ce temps, du haut de la tribune supérieure, le président de la Chambre des députés, Miguel Montes, observait d'un air faussement tranquille les députés de l'opposition, tout en lançant des regards insistants à ses collègues du PRI, ainsi qu'aux agents de sécurité qui se trouvaient au fond et sur les côtés de la Chambre. Montes donnait ainsi des indications aux représentants du PRI pour coordonner la réponse préparée à l'avance: des dizaines de policiers en civil sortirent soudain des endroits qu'ils occupaient et se mélangèrent aux députés priistes. Certains entourèrent Montes pour le protéger pendant que les autres se joignirent à une centaine de députés du PRI pour déloger de force les députés du Front qui occupaient la tribune. Finalement, la résolution reconnaissant Carlos Salinas de Gortari en tant que président du Mexique n'a été signé que par les députés du PRI.

 En juillet 1988, le même Miguel Montes García avait été élu député fédéral par la ville de Guanajuato (I District), au cours d'un processus électoral qui avait été amplement dénoncé comme étant frauduleux. En effet, l'opposition a présenté au collège électoral la preuve irréfutable des irrégularités commises: des centaines de bulletins de vote favorisant les candidats de l'opposition avaient été illégalement retirées des urnes par des fonctionnaires priistes.

 Après le Collège électoral de 1988 qui avait reconnu Gortari président de la République, Montes a été nommé président de la Commission de justice de la Chambre des députés, puis, trois ans plus tard, Procureur de la justice du District fédéral, fonctions qu'il exercerait de manière peu brillante. D'autre part, Montes a maintenu des liens d'amitié étroits avec le gouverneur Antonio Rivapalacio Lopez, qui venait de terminer son mandat et qui avait été amplement reconnu comme l'un des fonctionnaires les plus violents et répressifs du gouvernement mexicain.

 Il faut retenir que Montes, élément-clé de la fraude électorale de 1988, a été nommé par Salinas, principal bénéficiaire de cette tricherie, sous-procureur spécial chargé «d'éclaircir» le cas de l'assassinat de Colosio, candidat du PRI à la présidence de la République, parti au pouvoir depuis 65 ans. Tout semble indiquer que Montes a été, et sera une fois de plus, l'élément nettoyeur-clé de la façade du système, se servant de l'eau bénite de la «Loi» faite à l'image et à la ressemblance du Pouvoir.

 En nommant un sous-procureur spécial, Salinas violait la Constitution

 Le président Salinas, faisant fi de la Constitution et du fédéralisme, a nommé Montes sous-procureur spécial pour enquêter l'assassinat de Colosio. Au Mexique, le fédéralisme signifie, du point de vue constitutionnel, le respect de la souveraineté des différentes collectivités politiques libres et souveraines de chacun des 31 États fédérés. Au cours du siècle dernier, une guerre entre fédéralistes et centralistes avait en effet déchiré le peuple mexicain.

 Au Mexique, il y a le code pénal fédéral et les codes pénaux des différents États et du District Fédéral. Les procès pour homicide, délit de juridiction commune, relèvent exclusivement des tribunaux locaux des États de la République et non pas de ceux de la Fédération. C'est donc aux tribunaux de l'État de la Basse-Californie Nord qu'il revient de juger Mario Aburto Martínez et les co-accusés pour le meurtre de Colosio. L'intervention du sous-procureur spécial fédéral dans le procès est un outrage à la structure constitutionnelle fédérale.

 La nomination de Montes comme sous-procureur spécial révèle la volonté de Salinas de contrôler tout le processus d'enquête sur l'assassinat de Colosio. Dans de telles circonstances, on peut s'attendre à ce que le procès aboutisse à un verdict désiré par l'exécutif fédéral de Salinas et non à la vérité que la société exige.

 Le sous-procureur dénonce l'existence d'un «complot»

 Après l'assassinat, on peut supposer que Salinas ait demandé au sous-procureur Montes de mener une vaste enquête, profonde et efficace, et que ce dernier ait déployé tous les efforts nécessaires pour découvrir les faits réels: le pouvoir judiciaire a en effet mobilisé une quantité impressionnante d'agents fédéraux et d'avocats en vue de l'enquête et du procès.

 De toute évidence, le travail de plus de 500 experts et agents avait donné des résultats encourageants. Le premier rapport public de Montes affirmait que les deux balles qui ont tué Colosio provenaient d'angles différents: celle qui avait perforé le crâne du candidat allait de droite à gauche, et celle qui avait pénétré l'abdomen allait de gauche à droite. Le rapport concluait donc à l'existence de deux tireurs et affirmait que l'assassinat de Colosio était le produit d'un complot impliquant plusieurs individus, entre autres des agents de la sécurité du candidat présidentiel et des militants du PRI de la ville de Tijuana. D'après le sous-procureur Montes, Mario Aburto, Tranquilino Sánchez, Rodolfo Rivapalacio, Vicente Mayoral Valenzuela et Rodolfo Mayoral, tous ensemble avaient concerté l'acte criminel.

 Deux versions contradictoires: celle de Montes et celle de Valadés qui aurait mieux compris les véritables intentions de Salinas

 Les opinions du Procureur général de la République, Diego Valadés contredisaient celles du rapport Montes. Valdadés affirmait qu'Aburto avait avancé d'environ 10 mètres au milieu de la foule, avait posé le canon du revolver sur la tempe droite du candidat et avait tiré à la tête puis à l'abdomen. Il déclarait qu'il n'y avait donc eu ni conspiration ni participation d'autres individus à l'assassinat, et qu'il ne s'agissait que de l'initiative isolée d'un individu en quête de célébrité. C'est en se basant sur cette version que le pouvoir judiciaire a libéré les co-accusés.

 Les médias liés au gouvernement étaient d'accord avec l'opinion du Procureur général. Il est important de mentionner qu'au Mexique, la plupart des moyens d'information sont contrôlés et muselés par le Pouvoir exécutif fédéral.

 Le réseau Televisa, un des grands monopoles mexicains, a diffusé dans son émission d'actualité Eco, dirigée par Jacobo Zabludowsky, la nouvelle de l'assassinat. Comme les autres médias, Eco cherchait dès les premières heures à impliquer l'opposition politique de centre-gauche. Zabludowky mentionnait avec insistance qu'Aburto était né dans le Michoacán, État surtout favorable à Cuauhtémoc Cárdenas et au Parti de la Révolution démocratique (PRD).

 Les jours suivants, les médias pro-gouvernementaux ont nuancé leur position: ils ont insisté sur l'hypothèse que le crime avait été commis par un assassin solitaire aux idées pacifistes qui se proclamait défenseur des droits de la personne.

 Silence et volte-face du sous-procureur Montes

 Le sous-procureur spécial était alors le seul à défendre la théorie d'un complot. Mais après quelques jours de silence, au cours desquels il a peut-être consulté Salinas, Montes a changé de version, adoptant la ligne du Procureur général et des médias proches du gouvernement, celle d'un tireur isolé.

 Mais soudain, Montes laissa étrangement tomber l'hypothèse d'un complot, affranchissant ainsi de tout blâme le gouvernement et le nouveau candidat du PRI, Ernesto Zedillo Ponce de León. Zedillo avait été chef de la campagne de Colosio et, de manière suspecte et sans prétexte solide, n'avais pas été présent lors du rassemblement électoral au cours duquel s'était produit l'assassinat.

 Pendant que le Parti d'État essayait de blanchir l'image de Zedillo, de nouveaux cas de violence se multipliaient en Basse-Californie, État natal de ce dernier. Le 28 avril, alors qu'il enquêtait sur l'assassinat de Colosio, le directeur de la police municipale de Tijuana était criblé de balles par des inconnus. A ce cas s'ajoute l'arrestation du sous-procureur de la justice de la Basse-Californie, Sergio Ortiz Lara, par des membres du Bureau du procureur fédéral.

 Un autre fait semble mêler le gouvernement au narcotrafic et à l'assassinat de Colosio, le massacre de la discothèque Christine de Puerto Vallarta qui a fait six morts en novembre 1992. On avait identifié alors quatre victimes, César Rusel, Jesus Rocha, Armando Portillo et Ignacio Gómez. On soupçonne Tranquilino Sánchez, un des co-accusés de l'assassinat de Colosio, et Sergio Ortiz Lara, le sous-procureur arrêté, d'avoir participé à ce massacre.

 Plusieurs autres pistes devraient faire l'objet d'enquêtes approfondies. Par exemple, pourquoi le Comité municipal du PRI de Tijuana a-t-il demandé avant l'assassinat de Colosio la présence d'une équipe de médecins de l'Hôpital général au rassemblement électoral?

 Quel a été le rôle des politiciens les plus conservateurs connus sous le nom de «dinosaures»? L'une des têtes de ce groupe, Carlos Hank González, secrétaire de l'Agriculture, s'est vu confier par Salinas le rôle de présenter Zedillo comme candidat du PRI après la mort de Colosio, ce qui montre bien le lien étroit qui unit le courant technocratique de Salinas avec les «dinosaures». De plus, il ne s'est pas gêné d'utiliser du papier à en-tête et le télécopieur du secrétariat de l'Agriculture, en violation avec la loi, pour faire connaître le choix de Zedillo comme candidat.

 Carlos Hank est à la tête d'une des familles les plus riches du Mexique. L'un de ses fils, Carlos Hank Rohn, assistait le 23 février 1993, avec 28 autres magnats du groupe des dinosaures, à la réunion du PRI où Salinas demandait à chacun des invités de donner l'équivalent de 25 millions de dollars pour financer le parti. Un autre fils, Jorge Hank, est soupçonné d'être impliqué dans l'assassinat d'Héctor Félix Miranda, journaliste de l'hebdomadaire Zeta de Tijuana, commis dans cette ville le 20 avril 1988.

 L'opinion du peuple : «il s'agit d'un complot»

 Les Mexicains, sachant que le PRI maintient un contrôle presque absolu des médias, ont développé un sixième sens pour comprendre ce qui se passe. Aujourd'hui dans la rue, dans les maisons, dans les lieux de travail, les gens ont fini par se faire une opinion: Colosio a été assassiné par le gouvernement et par son parti.

 Des centaines d'assassinats politiques ont eu lieu au cours des différents processus électoraux, et la plupart d'entre eux sont restés impunis. Le cas de Colosio pourrait s'ajouter à la longue liste de crimes impunis.


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