Política y Derechos Humanos
Politique et droits de la personne
Politics and Human Rights
Tlahui-Politic No. 2, II/1996 




Analyse de la conjoncture du droit des peuples
Julio de Santa Ana



Caractéristique

On peut décrire la situation mondiale actuelle comme une situation de grande contradiction. D'une part, il existe une conscience claire que l'humanité vit un fort processus de transition sur de multiples plans de sa réalité et qu'en ce moment elle est administrée par des forces clairement conservatrices. D'autre part, on peut observer qu'au niveau social et culturel plusieurs peuples à travers le monde affirment leurs droits et leurs responsabilités.

En d'autres mots, nous vivons un moment de l'histoire où prédominent des pouvoirs conservateurs, mais en même temps les forces populaires s'entêtent à affirmer leur dignité qui malheureusement n'est pas souvent reconnue par les agents dominateurs.

Antécédents

Les termes de cette contradiction méritent d'être analysés. On peut affirmer qu'on a tenté de façonner et de concrétiser un vaste compromis historique entre la fin des années 40 et la fin des années 80. Quand s'est terminée la guerre de 1939-1945, on connaissait clairement l'importance de la catastrophe universelle qui venait de toucher une grande partie des peuples du monde. Non seulement on a compté par dizaines de millions les morts de la guerre, mais à cause des atrocités commises par les forces totalitaires, on a exigé des correctifs drastiques. En cherchant à éviter le renouvellement de telles infamies, un certain type de coexistence s'est établi d'une manière tacite, tendue, mais en même temps pondérée entre les forces progressistes et les forces réactionnaires. Ce «pacte social» a commencé à s'évanouir durant la seconde moitié des années 80. Depuis lors les tendances conservatrices semblent régir les processus historiques que nous vivons actuellement.

Nouveaux facteurs

Cette constatation accompagne un autre processus très important : de nouvelles technologies ont été introduites, spécialement dans le champ de l'information. Elles contribuent à accélérer les relations sociales, au moins d'une manière virtuelle. Pour le moment, le contrôle de ces activités est majoritairement entre les mains des pouvoirs établis. Il est vrai que les secteurs populaires progressistes peuvent utiliser ces innovations technologiques. Toutefois, il faut bien constater qu'ils n'en possèdent pas le contrôle. Celui qui dispose de ce pouvoir, c'est le capital transnational qui, faisant montre d'une arrogance insolente, prétend ignorer l'importance des forces et des processus sociaux.

Les forces conservatrices semblent dire : «Que ceux qui ne sont pas disposés à payer le prix nécessaire pour entrer dans le système que nous contrôlons, en soient exclus.» En d'autres termes : «Si vous ne consentez pas aux sacrifices exigés par les pouvoirs qui contrôlent la situation, alors nous déclarerons votre incapacité et nous vous exclurons».

Les exclus sont ces pauvres qui perdent le droit d'être pris en considération. Ils sont inutiles pour le système. Voilà pourquoi les agents qui administrent le pouvoir dans son ensemble ne prennent pas de mesures pour assurer le minimum dont les pauvres ont besoin pour subsister. On dirait que personne n'a la possibilité de crier haut et fort que cette irresponsabilité sociale des forces dominantes est une manifestation claire du mépris de la dignité humaine.

La contradiction

Cette facette de la situation contraste fortement avec le développement de la conscience de vastes secteurs populaires. Ils sont convaincus que leurs droits doivent être reconnus non seulement sur le plan formel, mais par-dessus tout de manière concrète au niveau matériel. Les spécialistes en droits humains signalent l'existence de trois générations de ces droits.

    La première génération, concrétisée à travers les grandes révolutions bourgeoises à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle est celle des droits individuels. Il s'agit de ces droit civiques qui affirment l'obligation de reconnaître l'être humain comme personne, étant donné que tous les individus sont égaux face à la loi.

    La deuxième génération des droits humains fut revendiquée par les révolutions sociales du XXe siècle. Il s'agit des droits socio-économiques. Ces droits sociaux viennent compléter les droits individuels. Par exemple, le droit à la liberté de conscience et à la liberté d'expression doit être accompagné du droit des travailleurs à former des associations qui puissent défendre et promouvoir leurs intérêts.

    La troisième génération des droits humains a commencé à se faire jour durant la deuxième moitié de ce siècle. Il s'agit des droits des peuples à maintenir l'intégrité de leur culture, du droit au développement, à la promotion sociale, à la terre comme partie de l'identité collective, etc.

Tensions

Il n'est pas toujours possible d'harmoniser ces trois générations de droits. Bien sûr, on ne peut nier qu'ils sont assurés à notre époque par des hommes et des femmes qui agissent en tant qu'individus certes, mais aussi en tant que groupes sociaux et en tant que personnalités collectives (peuples, cultures, etc.) Les tensions qui se font jour entre ces trois générations de droits peuvent être formulées à travers la question suivante : comment assurer les processus qui permettent à la fois la reconnaissance des personnes, des catégories sociales et des sujets collectifs?

C'est une question capitale, surtout si nous tenons compte des tendances dominantes auxquelles nous avons fait allusion précédemment et qui mettent en marche des mécanismes inexorables d'exclusion sociale.

Quand on essaie d'implanter ou de défendre les droits humains, un élan motive les personnes, les classes, d'autres groupes sociaux ou des sujets collectifs à agir en tel sens. Cet élan doit se traduire par la création de formalités, d'instances et d'impératifs sociaux ayant force de loi. Cela indique qu'un des buts pour lesquels il faut travailler actuellement, c'est d'arriver à être capable de traduire l'élan subjectif motivateur au plan institutionnel. Cela ne se fait ni sans effort, ni sans lutte.

Quoi faire?

Quelles doivent être les orientations de ces engagements humains? Disons brièvement qu'il s'agit de lutter pour une réforme culturelle et morale dans la vie des peuples. Ce sera une réforme qui permettra de donner du pouvoir aux humbles en mettant des limites à l'arrogance des puissants. En ce sens, il y a trois éléments qui doivent donner de la substance à cette réforme.

    Premièrement, quelques convictions non négociables doivent être affirmées. Mentionnons que les trois générations de droits humains indiquées plus haut doivent être reconnues. Par exemple, les droits de l'individu sont très limités quand ils ne sont pas accompagnés de la reconnaissance de son droit à l'identité culturelle et à la différence.

    Autre conviction non négociable : la nécessité d'un nouveau pacte social pour en finir avec la pratique de l'exclusion. Il s'agit d'une justice fondamentale, qui ne peut être ignorée ni par la rationalisation économique ni par la logique politique. Cela nous amène à insister sur la nécessité de diminuer les pratiques de violence. Une éthique du don de soi doit prévaloir sur une morale sacrificielle (surtout quand c'est l'autre qui doit se sacrifier!). Cela conduit aussi à corriger cette tendance de la culture des classes dominantes à considérer les humbles comme des instruments.

    Deuxièmement, cette éthique de convictions non-négociables doit être respectueuse de l'autre. Le droit à la différence doit être respecté. Si cela ne se produit pas, un dialogue entre les cultures n'arrivera pas à se concrétiser, dialogue tellement nécessaire pour éviter la pratique de l'exclusion. Respecter l'autre signifie, entre autres choses, cesser de penser qu'il y a des cultures qui sont supérieures aux autres. Il faut que nous nous éloignions du leurre de la modernité qui veut imposer une pensée unique. En réalité cela signifie imposer la raison instrumentale moderne comme la seule valide. Nous devons nous orienter vers un dialogue universel des cultures sur un pied d'égalité.

    Troisièmement, quand il s'agit des droits, ils ne sont pas seulement des droits humains. Ce sont les droits de la vie qui elle, est un don de Dieu.

La lutte pour les droits humains met en évidence qu'ils ne nous ont pas été donnés, clairement définis une fois pour toutes. Tout comme la vie est un processus en évolution, les droits qui y correspondent le sont aussi.


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