Política y Derechos Humanos
Politique et droits de la personne
Politics and Human Rights
Tlahui-Politic No. 2, II/1996 


UN PAYS DE PAIX I/III

Jean-François Garneau et Pierre Jasmin
Vice-président et président des Artistes pour la Paix

La recherche de la paix suppose le respect de la liberté des autres et le droit d'être différent. La concorde dans le respect de l'autonomie réciproque.
La regrettée. Simonne Monet-Chartrand, Artiste pour la paix 1991

 I/III. En 1992, le compositeur Gilles Tremblay pose un geste dont la portée symbolique inspire le préambule de ce mémoire. Répondant à l'invitation de la société Radio-Canada pour célébrer le 350ième anniversaire de la Ville de Montréal, il compose une oeuvre d'envergure d'après le sens profond du «wampum» amérindien, ou «ceinture de vérité», et l'intitule Avec, wampum symphonique. Créée le 12 octobre 92 [1] par l'OSM sous la direction de Charles Dutoit et diffusée dans toute la francophonie, l'oeuvre de Tremblay est un rappel de la conciliation fondatrice entre Français et Amérindiens et un appel à l'inclusion de tous dans un avenir commun. Son geste, qui lui a valu le titre d'Artiste pour la Paix de l'année, évoque une page importante, quoique méconnue, de notre histoire.

 LA PAIX FONDATRICE

 Il s'agit de la Grande Paix de Montréal de 1701, obtenue après des années de négociations ardues entre nations autochtones, Français et Anglais. Le débat sur l'avenir constitutionnel du Québec et du Canada gagnerait en créativité et en sérénité s'il se référait à cet événement historique, qui montre l'importance de la paix dans toute démarche fondatrice.

 Quelle que soit l'opinion qu'on exprime sur le statu quo constitutionnel, un fait demeure: n'en font partie ni le Québec, écarté de l'entente de 1982, ni les nations autochtones, brimées historiquement d'un traité à l'autre. Le débat mène donc forcément à des négociations impliquant trois grandes entités: le Québec, le Canada et les nations autochtones, dont la place doit être reconnue à la fois comme fondatrices et comme partenaires.

    «Onontio [2], toutes les nations différentes, venant des extrémités de ce vaste continent, sont rassemblées ici sur ta natte pour le Grand Feu de Montréal. Elles ont arrêté la hache et l'ont mise au plus profond de la terre. Jetant leurs yeux sur l'Arbre de la paix que tu as planté sur la plus haute montagne, elles lui mettent de fortes et profondes racines, pour que ni les vents, ni les orages, ni aucun autre accident ne puisse le renverser.»

Tirées du livre de l'historien Gilles Havard sur la Grande Paix de Montréal de 1701 [3], ces paroles donnent le ton des propos tenus lors d'une conférence diplomatique extraordinaire qui réunit plus de mille délégués de près de quarante nations alors que la colonie française ne compte pas 3 000 habitants. Les Cinq Nations de la confédération iroquoise, coincées entre leurs rivaux de l'Ouest et l'alliance franco-huronne de l'Est, sont confrontées à un sérieux déclin démographique que l'adoption de captifs de guerre ne freine plus, Elles reprennent un processus de négociation souvent perturbé dans les années précédentes afin d'établir une paix durable assurant leur survie.

 L'une des difficultés de ces pourparlers tient à une pratique dont la portée symbolique peut encore nous interpeller. En effet, les Français, selon l'usage européen, exigent que leurs prisonniers leur soient rendus avant de faire la paix. Mais les Iroquois, qui adoptent véritablement les prisonniers en les confiant à des familles où ils remplacent les défunts, ne peuvent se départir de ceux qu'ils considèrent comme des frères. Les chefs n'ont d'ailleurs pas le droit d'ordonner aux familles adoptives de renvoyer les anciens captifs. De plus, ces derniers préfèrent souvent la vie amérindienne aux moeurs européennes. On comprend la complexité des tractations qui découlent de cet état de choses et on peut en déduire plusieurs pistes de réflexion sur la composition du tissu social d'une nation à naître.

 Considérons, par exemple, que les immigrants reçus dans le cadre du régime fédéral canadien se considèrent comme adoptés par Canada, et l'on comprendra qu'ils aient peine à s'en détacher pour adhérer au projet québécois. Inversement, ceux qui se considéreraient comme adoptés par le Québec ne voudraient pas être pris en otage par le gouvernement fédéral au nom de sa juridiction sur l'immigration. Bref, on voit que dès le début du XVIIIième siècle, ces questions de nature intime et identitaire et leur résolution par consentement mutuel tissent la trame de notre histoire.

 Cependant, un jeu politique entoure déjà le sens attribué aux valeurs des diverses cultures en présence. Ainsi, Frontenac fait valoir aux Anglais que la souveraineté sur les Cinq Nations lui appartient, car plusieurs d'entre elles le désignent par un terme qui signifie «père». La contradiction flagrante relevée par Havard, celle d'un Frontenac paternaliste négociant en même temps une paix séparée, donc des nations souveraines, se retrouve presque telle quelle aujourd'hui dans la juridiction, provinciale ou fédérale, que les non-autochtones s'arrogent sur les Amérindiens.

 En fait, les attitudes colonialistes se réclamant du droit de découverte ou du droit de conquête dominent encore, sinon on aurait depuis longtemps cessé de parler des «deux peuples fondateurs».

 Reportons-nous donc à la réussite diplomatique de la conférence de 1701. En tant que traité négocié avec des nations souveraines, la Paix de Montréal constitue l'un des fondements historiques d'un pays ou de plusieurs pays encore à faire. Les chapitres suivants de notre histoire doivent plus à la force qu'à la diplomatie, c'est pourquoi on ne peut facilement s'en réclamer, au niveau des principes constitutionnels, pour conclure une entente véritable entre les provinces canadiennes, le gouvernement fédéral et les nations autochtones.

 Sans insister sur la déportation des Acadiens et la bataille des Plaines d'Abraham, disons que certains intervenants voient encore dans les défaites françaises la justification du statu quo canadien. Le sort de Patriotes de 1837 est souvent la répartie des nationalistes «de vieille souche» qui n'ont pas retenu de degré d'ouverture au monde de leurs héros. Pour ces «nationaux», la réaction des Patriotes au régime anti-démocratique imposé par l'envahisseur rendrait légitime l'abus contraire, exercé sus ceux qui ne pensent pas comme eux. En ce qui concerne l'attitude traditionnelle du Québec face à la politique militaire du fédéral, lors de la guerre des Boers, en 1902, ou lors des deux guerres mondiales (4), elle reflète davantage un refus des manipulations qu'une lâcheté devant l'impérialisme ou le fascisme. Il faudrait de toutes façons arrêter d'examiner l'Histoire comme une suite de faits d'armes où Dollard des Ormeaux a plus de notoriété que Marie de l'Incarnation.

 Quant à la réhabilitation de Louis Riel, elle est venue trop tard pour disculper les tenants du colonialisme d'allégeance monarchique, qui pendant plus d'un siècle ont tâché d'imposer plus ou moins subtilement leur pouvoir d'un bout à l'autre d'un pays qu'ils n'avaient jamais vraiment voulu faire, comme le prouve l'Acte d'Amérique du Nord britannique, adopté à Londres en 1867. Leur dernière invention, le multiculturalisme, n'est pas parvenu à perdre les nations et les cultures autonomistes dans le dédale de la mosaïque folklorisante qui consacre ultimement l'anglais comme langue canadienne.

 Comment réconcilier toutes les parties en cause à l'occasion du projet souverainiste québécois? En adhérant à des principes que tous les êtres humains reconnaissent, à commencer par le plus simple, celui qui assure la survie de tout être dès sa naissance: la paix.

    [1] Jour commémoratif de l'arrivée de Christophe Colomb dans les Caraïbes il y a 500 ans, ce qui était peut-être prévu afin d'offrir l'occasion de réfléchir d'une façon moins ethnocentrique aux conséquences de cet événement sur des millions d'êtres humains.

     [2] «Onontio» signifie «père» dans la langue de Wyandots, nation outaouaise considérée par La Potherie comme la plus puissante de celles qui étaient alliées aux Français. Le grand chef Kondiaronk (circa 1649-1701) l'attribua d'abord à Frontenac qui l'avait défendu contre ses ennemis, puis à Callière, le successeur de Frontenac.

     [3] HAVARD, Gilles, La grande paix de Montréal: les voies de la diplomatie franco-amérindienne, collection «Signes des Amériques» Société Recherches amérindiennes du Québec, 1992.

     [4] La série télévisée La bravoure et le mépris des frères McKenna révèle l'ampleur des manipulations politiciennes et la désinformation entretenue par le gouvernement sur certains aspects de la participation canadienne à la dernière guerre.
     


Un pays pour la paix. II/III
Index. Tlahui-Politic No. 2