Política y Derechos Humanos
Politique et droits de la personne
Politics and Human Rights
Tlahui-Politic No. 2, II/1996 


UN PAYS POUR LA PAIX. II/III

Jean-François Garneau et Pierre Jasmin
Vice-président et président des Artistes pour la Paix

II/III. En tant qu'état indépendant, un pays pacifiste cultiverait avant tout les valeurs essentielles propices à l'épanouissement individuel et collectif, car la paix est une intelligence profonde du monde, de soi et d'autrui.

 Nous allons tenter de dégager les principes qui découlent de cet énoncé et d'en démontrer la pertinence pour la création d'un pays vraiment nouveau, ce qui s'applique autant au Canada qu'au Québec, puisque les pays se font lentement.

 Ces principes peuvent se résumer ainsi: liberté, équité, et solidarité. La liste semble brève, mais en plus d'évoquer la devise de la république française, elle comprend, réflexion fait, les idéaux qui façonnent l'humanisme contemporain, du féminisme à l'écologie.

 En bons êtres humains centrés sur nous-mêmes, nous commencerons par ce qui touche l'individu et la société, pour finir par la nature, d'abord planétaire, selon la même logique, puis cosmique.  

    Liberté 
Sans entrer dans l'examen philosophique de la liberté, considérons ses dimensions pratiques: le respect de l'intégrité et de l'autonomie de chaque être, ce qu'on appelle souvent les droits humains. Notons tout de suite que l'idée d'un pays libre s'y rattache puisqu'un ensemble d'individus libres constitue un peuple qui a droit lui aussi à l'autonomie.

 Or, sans la paix, il n'y a pas de droits et libertés possibles. Mais sur quoi se fonde la paix?

 La paix repose d'abord sur l'état de droit, contrat social selon lequel la démocratie et le droit priment sur la force. La seule force tolérée doit dès lors être celle du droit, vestige de l'époque où seule la force faisait loi [5]. Il faut aussi honorer le droit à la dissidence. Les explications du Président Aristide quant à ce qui se joue maintenant en Haïti sont éloquentes: ce n'est pas seulement le sort d'un pays, mais celui de l'humanité future. Si les nations sont à la merci des armées, l'avenir n'aura pas lieu. L'exemple de l'Afrique du Sur et de Nelson Mandela s'impose de même. Sans la force brutale, la domination d'un groupe sur un autre cède devant la démocratie, si balbutiante soit-elle.

 Dès qu'un état ou un individu est prêt à prendre les armes, il empiète sur le droit d'autrui à l'existence, sur sa liberté, puisque la violence peut y mettre fin. Ce fait a une portée tant locale qu'internationale. Localement, c'est dire que la paix sociale dépend du désarmement de tout citoyen, internationalement de celui des états. Pour établir un contrôle total des armes, il faut commencer par cesser d'en produire, ce qui suppose une remise en question complète des vieilles structures industrielles.

 Certains doutent que ce soit réaliste, mais les réalités de la concurrence économique démontrent déjà que les guerres sont désuètes en tant que moteurs industriels nationaux. Les rares innovations technologiques qu'elles ont provoquées sont souvent inutiles dans la vie civile [6]. D'ailleurs, si la compatibilité des états se faisait globalement, la destruction des uns ne pourrait jamais se chiffrer comme le profit des autres. De plus, la compétition économique comporte elle aussi des violences qui précipiteront son échec: chômage généralisé, désastres écologiques, volatilité des marchés, etc. On constate vite que la notion de paix s'applique bien à l'économie, surtout, s'il est question de productivité réelle et de développement viable à l'échelle planétaire.

 Un nouveau pays indépendant devrait profiter de l'occasion unique que lui offre l'Histoire et investir d'emblée dans autre chose que l'armement; dans l'éducation, par exemple, la recherche scientifique et, pourquoi pas, la résolution pacifique des conflits, activité rentable à court et à long terme.  

    Équité 
La paix dépend aussi du statu équivalent de toute personne participant à l'état de droit. Ceci établit clairement que les privilèges attribués traditionnellement à certains membres de la société n'aient plus cours. Toute hiérarchisation est abusive, qu'elle soit basée sur le sexe, l'appartenance familiale, ethnique, culturelle, religieuse ou autre. A la notion d'égalitarisme, il faut toutefois préférer celle d'équité, puisqu'on ne saurait profiter de la diversité des êtres en préconisant des préceptes normalistes, conformistes ou uniformisants qui mènent droit à une forme ou une autre d'intégrisme [7]. L'intégrisme tend à remplacer le partage équitable du pouvoir par la soumission à une autorité incontestable, ce qui implique nécessairement l'usage de la force, niant l'état de droit.

 Comme principe, l'équité remet en question des usages établis depuis des siècles, tels que la propriété privée de la terre ou la concession à long terme des richesses naturelles. Il ne faut pas conclure pour autant que toute propriété est un vol, puisque la possession individuelle de certains biens garantit un minimum de responsabilité, y compris dans le cas des terres et forêts (cf. la Suède et ses forêts privées). Inversement, une vision non possessive du monde n'entraîne pas d'emblée un partage équitable de ses ressources puisque des notions des filiations, d'ancienneté ou de territoire ancestral peuvent déterminer les ayant droit. L'ancestralité n'est compatible avec l'appartenance territoriale moderne que dans la mesure où «l'adoption» ethnique et culturelle lui correspond exactement.

 Un pays indépendant devrait établir clairement l'équité de l'état pour tous et toutes, au-delà de origines ethniques et culturelles. Dans le cas du Québec, l'héritage français étant posé comme un outil de survie ponctuel dans l'histoire d'un peuple conquis, il ne saurait être imposé de quelque façon que ce soit. Sel peut le maintenir le consensus d'une majorité de citoyens et citoyennes, toutes origines confondues, selon leur bon plaisir. La France elle-même n'est restée ni gauloise ni latine, mais a prolongé les cultures qui l'on fait naître.

 Ainsi, les peuples autochtones doivent pouvoir déterminer aux-mêmes leur degré d'adhésion à une culture commune [8]. Ils le feraient peut-être plus facilement si les descendants des Européens et les immigrants plus récents se rapprochaient davantage et renonçaient à leurs préjugés ethnocentriques. Il faudrait pour cela cesser d'imposer aux autochtones des stratégies de développement industriel, minier ou hydro-électrique, et de les soumettre à une forme de torture sournoise par manoeuvres militaires interposées.  

    Solidarité 
Si la liberté et l'équité sont perçues par chacune et chacun comme sources de bien-être personnel, elles seront reconnues comme telles pour toutes et tous, donc essentielles au bien-être collectif, ce qui entraîne une solidarité elle aussi essentielle à la paix individuelle et sociale. A partir de ce principe ancré dans la construction identitaire, on peut élaborer un mode de fonctionnement interpersonnel, social et culturel à la fois efficace et inspirant. En effet, si les modèles économiques qui négligent d'assumer leurs pré-requis culturels échouent forcément, un contrat social renégocié sur la base de la solidarité, valeur universelle entre toutes, favoriserait la synergie de tous les secteurs d'activité.

 C'est justement grâce à la vigueur de son mouvement coopératif que le Québec échappe en partie à la morosité des premières régions industrielles nord-américaines. Ce dynamisme servirait encore mieux l'ensemble des Québécois si l'état énonçait des politiques à long terme axées sur la solidarité. Il serait plus rentable de récompenser les investisseurs adhérant à cette directive que de subventionner ceux qui déplacent leurs installations selon les fluctuations internationales du coût de la main d'oeuvre et du laxisme environnemental.

 La coopération internationale prendrait aussi une orientation plus saine, et, à long terme, plus efficace. En effet, malgré de nombreuses promesses envers les pays du Sud, ceux du Nord profitent de transferts de capitaux bien supérieurs au montant de l'aide consentie. Le déséquilibre qui en résulte pourrait être plus catastrophique pour notre avenir que notre propre endettement. Les migrations massives, les catastrophes écologiques et les guerres s'ajouteraient à la récession mondiale qui suivrait l'effondrement des marchés les plus peuplés du monde. En plus d'aider à prévenir le pire, la coopération internationale offre d'immenses débouchés aux producteurs judicieux qui répondront aux besoins des populations et non aux diktats de la Banque mondiale.

 Un pays pacifiste de démarquerait de l'affairisme occidental, plus pressé d'invertir au Koweït qu'en Bosnie ou vendant des mines anti-personnel au plus offrant, pour promouvoir une concertation réelle entre nations.

 La concertation est d'ailleurs le seul moyen pacifique de rompre le cercle vicieux de l'opposition droits humains/échanges commerciaux. En effet, des programmes de coopération économique issus d'une concertation réussie de toutes les instances intéressées n'ont pas besoin de confronter les autorités non-démocratiques ni de solliciter leur appui. Intégrés aux économies locales sans le soutien de l'armée, ils renforcent peu à peu les mécanismes démocratiques et évitent de subventionner les secteurs militaristes qui leur font obstacle. Associés à une politique efficace de désarmement, de tels programmes pourraient contribuer à l'instauration de régimes démocratiques autonomes sans que les populations subissent le ressac violent des dictatures, cause de génocide en Haïti, au Rwanda et ailleurs [9].

 Une fois comprise la dimension planétaire de la solidarité, on peut même rêver qu'un Québec indépendant devenu pays de paix propose à l'ensemble des nations d'élargir le traité de 1967 sur la démilitarisation des corps célestes et d'instaurer un protocole de «paix des étoiles» qui limiterait l'usage de l'espace aux activités bénéfiques pour l'humanité entière: pas de «dumping» culturel par satellite interposé, de gaspillages guerriers (Star Wars), ou d'enfouissement lunaire de déchets radioactifs.

 Ainsi, nous serions sûrs de grandir sous une bonne étoile.
[5] En ce sens, le droit du plus fort, ou du plus riche, n'est pas le droit.
[6] Par exemple, l'avion furtif (Stealth bomber) dont la mise au point a coûte des milliards n'aucune application civile.
[7] Rappelons que Gandhi a décrit la civilisation comme le progrès de la diversité.
[8] «Et si l'accession du Québec à l'indépendance ne devait se traduire, pour eux (les autochtones), que par un changement de tutelle, quel intérêt auraient-ils à mettre de côte la méfiance séculaire inspiré par leur tuteur actuel à l'endroit des francophones?» SAVARD, Rémi, Destins d'Amérique: les autochtones et nous, L'hexagone, 1979.
[9] «Chaque jour nous confirme que les régimes autocratiques sont, potentiellement, des fauteurs de guerre, et combien, à l'inverse, les démocraties sont les serviteurs de la Paix.» Boutros Boutros-Ghali, in Le monde diplomatique, octobre 1993.


Recommandations pour la sécurité d'un nouveau pays III/III
Un pays de paix I/III
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