Política y Derechos Humanos
Politique et droits de la personne
Politics and Human Rights
Tlahui-Politic No. 2, II/1996 




Analyse de la conjoncture de la stratégie révolutionnaire
Jordi Corominas



Pour plusieurs, la révolution reste confinée au discours de quelques vieux militants. Si ce n'est pas de mauvais goût, cela leur semble pour le moins passé de mode de parler de révolution dans les cercles politiques ou intellectuels.

Mais malheureusement la révolution est de moins en moins une question d'éthique ou de littérature. S'il y a une chose que l'expérience historique de notre Continent durant ce dernier siècle nous enseigne, c'est bien que la force révolutionnaire ne part pas d'abord des idées ni d'une question de valeurs. En Amérique latine, l'origine et la justification ultime des révolutions et des mouvements de guérilla, depuis Tupac Amaru jusqu'au mouvement zapatiste, c'est l'injustice, l'appauvrissement et l'exclusion de grands secteurs de la population.

Plus nécessaire que jamais

Si nous nous en tenons à la réalité actuelle, la révolution est plus nécessaire que jadis. Après la fin de la guerre froide, l'abîme de l'inégalité en Amérique latine et dans le monde a augmenté de manière horrible. Inutile de citer les intellectuels de gauche ou les dernières statistiques d'un rapport effrayant. Les renseignements s'appuient sur l'échantillonnage des tendances politiques.

La nécessité de changements structurels (révolutionnaires) et non de simples «réformes» est considérée comme la condition indispensable pour la survie de l'humanité, y compris des minorités opulentes de la planète.

Aujourd'hui nous nous rendons compte que ce n'est pas comme il y a quelques années uniquement un problème de justice et de distribution. Actuellement même si une révolution socialiste d'envergure mondiale redistribuait la richesse et rendait justice, elle ne transformerait pas en même temps radicalement les formes de vie de la civilisation actuelle et serait insuffisante. Même «l'extermination des pauvres» sans transformations radicales dans les modes de production et les formes de vie, ne servirait qu'à prolonger l'agonie du monde riche. La justification de la révolution est de moins en moins métaphysique mais fondamentale. Pour que les êtres humains de la planète puissent simplement survivre (manger, boire et respirer...) il faut de toute urgence des changements structurels.

Faiblesse stratégique

On pourrait penser que la révolution, aussi nécessaire qu'elle soit, semble plus impossible que jamais. C'est vrai que les possibilités d'amélioration pour les grandes majorités de la planète ont diminué si on les compare même à la situation d'il y a dix ans. Si l'attrait et la force des mouvements révolutionnaires ont toujours été d'entrevoir un chemin faisable vers une libération collective, actuellement leur faiblesse résiderait dans l'impossibilité de maintenir une utopie magnifique sans apparence de réalisation historique.

En cette fin de siècle, la stratégie libératrice a consisté surtout à essayer de prendre le pouvoir de l'État par la guérilla avec l'appui populaire et de s'appuyer ensuite sur le bloc de l'Est comme manière la plus courte. L'impossibilité actuelle d'utiliser cette stratégie provoque une crise des mouvements et des partis révolutionnaires, plus radicale qu'une simple défaite.

Mais la fin d'un chemin n'est pas la fin de tous les chemins. C'est ce que les nouvelles tendances qui émergent de la gauche révolutionnaire latino-américaine semblent comprendre.

Tendance réformiste

Le Mouvement de rénovation sandiniste de Sergio Ramírez au Nicaragua, de Joaquín Villalobos au Salvador, les réflexions de Jorge Castañeda dans son livre L'utopie désarmée, etc. sont des exemples de la tendance réformiste. Ils considèrent la possibilité de changements structurels tellement difficiles que prétendre construire des mouvements révolutionnaires leur paraît tenir davantage de l'immobilisme que de la réalité. Ils pensent que la gauche doit opter sans complexe pour les agents économiques capables de créer la richesse et pas tant pour les classes les plus faibles (chômeurs, marginaux). Selon eux, il ne faut pas projeter de remplacer le capitalisme, mais plutôt l'adapter à travers des politiques sociales redistributives dans le style des sociales-démocraties européennes.

La principale force de cette tendance réside dans le fait que certains pays pourront peut-être offrir quelques avantages marquants à l'ensemble de leur population s'ils arrivent à s'intégrer adéquatement au marché mondial. Sa principale faiblesse, c'est qu'actuellement les réformes de type capitaliste ne sont pas suffisantes pour satisfaire aux nécessités minimales de la majorité des êtres humains.

TTendance orthodoxe

La tendance orthodoxe, c'est le castrisme et le noyau dur des vieilles guérillas qui l'incarnent. Cette tendance prétend séparer totalement le marxisme de la crise du véritable socialisme. Il s'agirait de maintenir fondamentalement les mêmes principes et les mêmes stratégies avec l'espoir que la gauche révolutionnaire prenne le pouvoir (par exemple en Union soviétique) ou bien que les forces de différents États puissent s'unir. On continue à croire qu'il est sensé que le parti révolutionnaire soit le leader des organisations de base. Cette avant-garde, ce sont précisément les personnes conscientes que la révolution est inévitable à cause d'une sorte de logique dialectique inhérente au dynamisme de l'histoire.

Sa principale force, ce sont les exclus eux-mêmes, avec leur disposition aux mobilisations populaires et leur opposition totale au système en vigueur. Sa principale faiblesse, ce sont ses «protestations sans véritable but», sans alternative réelle à court et à moyen terme et la survivance de trop de dogmes et de métaphysique qui inhibent les débats sérieux, les analyses profondes et la révision des catégories et des schèmes mentaux encore utilisés.

Tendance civile et populaire

Cette tendance se manifeste dans les mouvements féministes, dans le zapatisme, dans des secteurs importants des partis de gauche traditionnels, dans des mouvements chrétiens de base, des organisations populaires, des ONG qui osent critiquer le système, etc. Cela part de la constatation qu'au-delà des États et de la diversité culturelle nous formons maintenant une unique société mondiale. Dans le système de cette société, la richesse et le bien-être économique d'une minorité a comme conséquence la misère et la marginalisation de la majorité de l'humanité. Pour qu'une partie du monde puisse avoir une auto, un réfrigérateur, des vacances et un salaire digne, il est indispensable que l'autre partie ait à peine de quoi survivre. Si auparavant l'exploitation était un élément fondamental du système, alors qu'actuellement être exploité est un «privilège!», cela est encore plus terrible et mène tout droit à la marginalité.

Dans cette perspective, la révolution, pour être véritable, doit affecter la structure du système mondial lui-même, le coeur même de ce système. Si on laisse intacte la marginalisation des grandes majorités du monde ce sera simplement du réformisme. Cela signifie qu'une simple et anodine réforme démocratique d'une institution mondiale puissante (BM, FMI...) peut avoir des conséquences «révolutionnaires», alors que la meilleure des révolutions pensables à l'intérieur des frontières d'un seul État, peut à peine affecter le système mondial actuel.

Cette tendance prend très au sérieux la menace d'atteindre les limites écologiques de la planète et l'importance décisive de nos actions quotidiennes. L'unique solution au «paradoxe chinois» (si chaque Chinois — 1 milliard 300 millions — possédait une moto, nous ne pourrions plus respirer, cela est absolument certain), c'est de changer notre manière de vivre.

La fragilité des propositions économiques en termes mondiaux est connue. Le fondamentalisme le plus dangereux et le plus terroriste de notre temps, c'est le fondamentalisme du marché. On affirme qu'en principe une orientation démocratique de l'économie et du marché mondial ( social-démocrate et même libéral ) altère davantage les racines du système et peut être plus bénéfique aux majorités pauvres qu'une révolution socialiste dans un État. On stimule la lutte sur tous les plans pour la démocratisation des structures et la participation démocratique des personnes, des groupes, des ONG, des collectivités locales et municipales jusqu'aux grands réseaux et aux institutions mondiales. On exige la reconnaissance d'une citoyenneté mondiale. Cette exigence face aux mouvements d'émigration devrait être reconnue par le droit alors qu'actuellement nous avons coutume de laisser cette réalité aux bons soins de la solidarité ou de la charité.

La grande force de cette tendance est de présenter une stratégie révolutionnaire faisable. Sa grande faiblesse est son état embryonnaire, l'articulation encore naissante des groupes, la difficulté idéologique de se débarrasser d'une multitude d'idées qui obscurcissent les possibilités réelles et qui permettent au système de continuer sur sa lancée. Le défi, c'est de former une force sociale mondiale qui puisse lutter et exercer des pressions pour obtenir ces transformations. Conclusion

Il y a des continuités qui sont d'authentiques abdications et des changements qui permettent de ne rien changer réellement. La révolution passe aujourd'hui par un grand effort de réalisme, par la formation et l'unification de forces sociales disposées à lutter dans tous les milieux (y compris dans l'État) et à l'incarner dans ses actes quotidiens. Il ne s'agit pas simplement d'un rêve d'intellectuels, mais d'une chose parfaitement possible aujourd'hui. Il s'agit d'un monde où chaque femme et chaque homme puisse répondre dans la simplicité à ses nécessités de base. L'analyse et la clarté théorique peuvent apporter de la lumière au sombre futur qui menace la grande majorité des populations de l'Amérique latine et de la planète tout entière.


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