Política y Derechos Humanos
Politique et droits de la personne
Politics and Human Rights
Tlahui-Politic No. 2, II/1996 



Quand le pouvoir «confond»...
Analyse de la conjoncture du droit des peuples

Sergio Ferrari



Le dédain quand ce ne sont pas les doutes, l'inertie quand ce n'est pas l'autocensure ont confisqué durant ces cinq dernières années une partie des énergies du mouvement solidaire. Il s'était construit autour du Vietnam, du Chili et de l'Argentine puis s'était élargi à l'infini quelques années plus tard grâce à l'Amérique centrale.

Suite à la crise du véritable socialisme à la fin des années 80, à la défaite électorale sandiniste, et, au tout début de la décade actuelle, à la situation complexe négociée au Salvador, la solidarité internationale Nord-Sud, depuis plusieurs années focalisée particulièrement sur l'Amérique latine, a été ébranlée. Véritable toboggan descendant la piste de la désorientation!

Dans cette chute idéologique, les divisions internes des forces progressistes centro-américaines ont leur part de responsabilité. Elles avaient fignolé une solidarité verticale comme reflet de leurs propres conceptions internes... Il n'était pas facile à des milliers de kilomètres de distance de recréer, à partir de rien, en vingt-quatre heures, toute la fraîcheur politique nécessaire capable de répondre à la nouvelle réalité.

Presque en même temps, le Nord occidental triomphant commençait à mitrailler de nouvelles valeurs par rapport au pouvoir. L'offensive qui a accompagné et soutenu le monde unipolaire vers la mondialisation et l'ajustement néo-libéral n'a rien négligé.

Étant donné le repli du mouvement de solidarité internationale, c'est aussi dans cette sphère que le système a tenté de dénaturer les dynamismes. Subitement et comme par un coup de baguette magique, «l'intervention humanitaire» envoyée en Somalie est devenue la nouvelle forme officielle et acceptée d'exercer la solidarité. C'était un dangereux essai de vider de son contenu une des rares expressions de l'authentique coexistence planétaire.

Ce fut une manoeuvre qui n'a pas réussi à remplacer l'amitié et l'engagement horizontal entre les peuples par une conception d'assistance rachitique qui n'a pas hésité à recourir à la répression quand les «assistés» ont décidé de continuer leur révolte. En peu de temps, on a constaté les limites de cette espèce «d'exercice en éprouvette» qui prétendait confondre dans une belle rhétorique, la solidarité et l'interventionnisme.

Signes des temps «nouveaux»

La nature toujours plus polarisante, élitiste et anti-solidaire du modèle mondial existant, met en échec la quotidienneté propre du Nord et dénonce les grandes fissures de sa proposition.

Même dans les pays développés, le chômage augmente. On voit avec évidence la chute abrupte de la qualité de vie et on constate le recul dans plusieurs des aires sociales les plus sensibles, historiquement les plus intouchables. La protestation et même l'explosion — comme en France à la fin de 95 — commencent à se profiler avec une certaine véhémence comme le véhicule d'une insatisfaction croissante.

L'ancienne Europe de l'Est , mécontente des promesses non tenues, retrouve ses envies de penser sans autocensure et prend ses distances vis-à-vis certains acquis du passé. Le nouveau protagonisme des forces progressistes dans plusieurs de ces pays, cinq ans seulement après la chute du mur de Berlin, ne manque pas de surprendre.

En même temps, du Sud engagé nous arrivent des signaux réactualisés qui indiquent que dans ce coin de la planète le concept de «reddition» ne figure pas dans les dictionnaires. En ce sens, la force et l'originalité médiatique du zapatisme du Chiapas pour faire rayonner sa conviction dans l'utopie — en ces temps où penser autrement que les penseurs officiels était péché — réanime aussi l'espérance au nord de l'équateur politique.

Pour une nouvelle stratégie

De nouveau, se créent de meilleures conditions pour parler de solidarité internationale sans avoir peur du ridicule. Même si le mouvement qui en a été le protagoniste durant les dix dernières années n'a pas terminé de faire la synthèse des causes qui l'ont paralysé durant un moment, il recommence à prendre des initiatives et à récupérer sa praxis.

Il y a aussi une vieille solidarité qui se réforme, inférieure en nombre de personnes à celle d'autrefois mais qui par sa qualité pourrait bien la dépasser. Elle est composée de divers acteurs : le reste des anciens militants, les groupes — surtout les groupes chrétiens et les organisations non gouvernamentales progressistes —qui ont trouvé plus facilement le moyen de survivre à la crise (peut-être à cause de leur vision moins idéologique et plus universaliste) et de nouveaux venus : des jeunes en recherche constante.

Avec cette réapparition, un grand nombre de nouvelles questions se posent. Si on tente d'y répondre on finira par redéfinir les axes-clés de la Solidarité stratégique face au XXIe siècle.

Ces différences, ces nuances et ces accords entre Solidarité et Coopération, que cette dernière soit officielle ou non gouvernementale, comment leur donner un essor dans les pays du Nord? Qui seront les sujets et les interlocuteurs au Sud? Quelles seront les priorités (forces progressistes, société civile, secteurs productifs spécifiques...), les formes d'expression et de matérialisation? Quel sera, en suivant le sens inverse habituel, le chemin par où passera l'indispensable solidarité du Sud vers le Nord, celle qui pourra réveiller l'utopie...?

En d'autres mots, il faut donner de nouvelles dimensions aux concepts et à l'apport venus du Sud. Cela devra se faire au niveau de la réflexion des gens du Sud et de leur pratique, de leurs forces progressistes et révolutionnaires comme de leurs sociétés civiles respectives.

Il ne faut pas diminuer le dialogue nécessaire entre les différents pays du Sud. Il faut renforcer une dynamique encore «tiède», mais importante, face au défi d'humaniser la planète et de la redresser par une nouvelle rationalité construite à partir des majorités. Face à la globalisation des autorités et la concentration des pouvoirs économiques, il faut renforcer toutes les formes de dialogue entre les divers «Sud», touchés par la pauvreté — qui existent autant au Sud qu'au Nord de la planisphère mondiale —. Cela risque de se transformer en un exercice explosif et rénovateur.

Si ces questions et ces thèmes acquièrent une importance clé à l'aube du nouveau millénaire, il serait tout aussi important de se préoccuper des méthodes d'organisation, d'information et de communication.

Un élément important, c'est l'extension et l'unification des axes de solidarité identifiant l'ensemble des forces, n'importe où sur la planète. Là où on ratifie les engagements contre le néo-impérialisme et ses expressions politiques et militaires, où on se déclare en faveur d'un développement intégral, humain, soutenu et équitable, et où on se montre enclin à approfondir la dignité et les droits humains dans leur contenu le plus large et le plus stratégique, voilà où se développera la solidarité.

En renforçant ainsi les initiatives déjà en cours comme les «sommets parallèles du Groupe des Sept» qui ont plus d'impact ces dernières années, on devra, dans l'avenir, accorder une plus grande présence critique aux voix du Sud. On devra promouvoir de nouvelles initiatives, des forums et des instances, libérés des bureaucrates pour donner la parole aux gens de la base et ainsi fortifier la réflexion et l'échange.

Au niveau de la communication, profiter le plus possible des canaux existants pour raccourcir les distances jusqu'à maintenant insurmontables, s'avère une priorité essentielle. Remplir ces routes électroniques d'un contenu et en faciliter le dialogue entre les acteurs dynamiques de la Solidarité, c'est une partie du défi immédiat. Il faut agir sans complexes en étant sûr qu'une base technologique accessible et démocratisée peut être un point de départ essentiel pour un nouveau type d'information planétaire.

La «révolution de l'information» avec de nouvelles logiques d'équilibre, de contenus, de possibilités et de moyens, se transformera en un substrat essentiel pour une nouvelle conscience planétaire. On redonnera vie au vieux concept toujours actuel en affirmant qu'il n'y a pas de réelle solidarité consciente sans une véritable information.

Dans le futur immédiat, une dynamique intense de dialogue sera un exercice nécessaire d'échanges et de chemins communs en développant une nouvelle énergie pour construire sans complexes. Cette libération se réalisera seulement à partir d'une nouvelle logique car la planète est une et unique et il faut le démontrer!


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